
Bonjour Madame la ministre,
Je vous laisse prendre connaissance de l'histoire de ma maman, décédée le 14 janvier 2024 à l'hôpital Bretonneau de Tours.
J'ai saisi la CCI sur les conseils d'une avocate. L'hôpital, après m'avoir fait attendre très longtemps pour récupérer le dossier médical de ma mère et après plusieurs envois, m'a finalement tout communiqué. J'ai pu transmettre le dossier à la CCI, qui m'a confirmé que mon dossier est complet. Je suis dans l'attente de la suite.
Je souhaite relater des faits qui se sont déroulés lors du séjour de ma maman, Jocelyne Gaubert, âgée de 61 ans, hospitalisée le 12 décembre en Unité protégée de soins intensifs et décédée le 14 janvier en réanimation 2 à l'hôpital Bretonneau de Tours.
Ma maman avait un lymphome diffus à grandes cellules B. Le traitement le plus adapté à l’évolution de son cancer (récidive après une rémission de 9 mois) était la technique des CarTCell. La question s’est posée en début de séjour sur le fait de faire ou non cette technique, au vu de la récidive flambante du lymphome qui était présent jusque dans sa moelle osseuse. Finalement, cette technique a été choisie après mesure du rapport bénéfice/risque, et ma maman a donc été mise en aplasie par traitement d’une chimiothérapie d’attente.
Rapidement, un œdème diffus et généralisé sur les membres s’est formé, engendrant la formation d’énormes cloques par capillarité sur les jambes. Ces cloques ont finalement été percées et débridées pour éviter qu’elles ne se reforment. Elle devait alors être bandée afin d’éviter une contamination des plaies par des bactéries extérieures, favoriser la cicatrisation et éviter les suintements et frottements.
En parallèle, un diurétique (Lasilix) a été administré pour tenter d’évacuer cet œdème. Ma maman s’est donc mise à beaucoup uriner. L’équipe soignante lui a alors indiqué que ses pansements devaient rester bien propres et ne surtout pas être imbibés d’urine ou de matières fécales, qu’elle ne pourrait plus être autonome pour aller aux toilettes, et qu’il faudrait qu’elle porte une protection et demande le bassin, vu qu'elle n'arrivait pas à se déplacer. Elle a accepté malgré le fait qu’elle trouvait cela très dégradant, étant parfaitement consciente que ses plaies pouvaient être des entrées probables aux germes et que, n’ayant plus de défenses immunitaires, il ne fallait surtout pas que cela arrive.
Je précise que ma mère n’avait que 61 ans et qu’elle était parfaitement autonome. Elle n’a jamais été impotente. C’était compliqué pour elle de devoir porter une protection ou d’être mise au bassin, mais elle l’avait accepté devant le risque de faire une infection grave si ses pansements venaient à être souillés.
La nuit du 2 au 3 janvier, une infirmière (ou A.S.) est venue en soirée afin de lui administrer un sédatif (zopiclone) pour qu’elle puisse s’endormir plus facilement. Elle a alors remonté le lit pour effectuer des soins et lui mettre une protection (toujours dans le souci de ne pas souiller les pansements pour la nuit). Malheureusement, cette personne n’a pas pensé à redescendre le lit ou à le sécuriser.
Cette nuit-là, maman s’est réveillée et a voulu se lever. Elle était encore sous l’effet du sédatif et n’a pas trouvé le sol avec ses pieds. Elle est tombée et s’est plainte d’être restée longuement par terre avant d’avoir été retrouvée dans son urine, qui avait évidemment débordé de la protection, étant donné la chute et la durée passée à terre à appeler et tenter de ramper pour demander de l’aide.
Les pansements ont donc été refaits, et la personne qui avait oublié de redescendre le lit est venue s’excuser, mais le mal était fait et cela ne s’arrêtera malheureusement pas à cet événement.
Le soir même, la nuit du 3 au 4 janvier, une autre personne est venue mettre le bassin aux alentours de 20h sous les fesses de ma mère et ne reviendra jamais lui retirer. La sonnette était inaccessible et, malgré ses appels à l’aide, personne ne viendra avant minuit ! Elle a été retrouvée baignant dans son urine, ayant réussi à pousser tant bien que mal le bassin qui lui faisait très mal aux fesses. Elle a évidemment continué d’uriner sous elle : 4 heures, c’est très long lorsqu’on est sous diurétiques et qu’on souffre d’œdème.
Cette nuit-là, ma mère a souffert le martyre, l’urine brûlant ses plaies, ne pouvant pas bouger à cause des pansements recouvrant la totalité de ses membres. Elle a fait plusieurs malaises à cause de la douleur atroce.
Le lendemain, la personne qui l’avait oubliée sur le bassin est entrée dans sa chambre et a été vraiment irrespectueuse, disant à ma mère avoir mis la sonnette à sa disposition et remettant en doute sa parole.
Pensez-vous très sérieusement que ma mère aurait fait exprès de rester dans son urine (et peut-être plus : elle avait la diarrhée) à macérer durant 4 heures ? Et même si elle avait eu la sonnette à disposition (ce qui n’était pas le cas), cette soignante n’a-t-elle pas assez de conscience professionnelle ou de mémoire pour se souvenir qu’elle laisse une personne sur un bassin durant 4 heures ? Pensait-elle que ma mère, une fois terminé, allait s’essuyer, se lever, vider le bassin et se recoucher ? Je trouve cela personnellement dangereux que des soignants tels que cette personne puissent continuer de s’occuper de patients dans des états si graves que ceux que vous accueillez en UPSI, en chambre stérile, et qui sont donc très fragiles.
Ma mère, constatant que cette personne était malhonnête et manquait clairement d’empathie et de conscience professionnelle, lui a indiqué qu’elle ne souhaitait plus qu’elle s’occupe d’elle et lui a demandé son prénom. Cette personne a refusé trois fois de lui donner, puis a fini par lui dire qu’elle s’appelait Maëva. Il n’y aura jamais de suite à cet événement et nous pensons qu’elle n’a même pas donné sa vraie identité.
Nous avons eu la sensation que ce type d’événement était classé sans conséquence et sans aucune gravité. Ma maman sera pourtant admise pour un choc septique le samedi 6 janvier au matin, en réanimation 2, d’où elle ne ressortira jamais. Les biopsies révéleront par la suite qu’elle était atteinte par deux bactéries de type entérocoques. Le compte rendu définitif parlera aussi de défaillance multi-viscérale.
J’ai le cœur brisé en mille morceaux de perdre ma maman à qui il restait tant de belles années à vivre. Mais de savoir que les derniers jours passés dans cette unité protégée de soins intensifs se sont déroulés de cette manière me met dans une colère noire. Maman avait une lourde pathologie et devait rester dans une chambre, dans un univers stérile. Elle n'aurait jamais dû être confrontée, ni elle ni aucun autre patient, à ce genre de situations aberrantes et intolérables.
Ma maman est décédée le 14 janvier. Le 15, je me présente en UPSI pour « récupérer les affaires de ma mère, Madame Gaubert, en chambre 148 ».
Je m’entends répondre : « Les affaires sales, des affaires dans le vestiaire ? » Non, je réponds : « Toutes ces affaires, vu qu’elle est décédée. » Apparemment, on n’est même pas au courant. On m’amènera toutes ces affaires sur un chariot, on ne me fera pas entrer dans le service… Je suppose que c’est un service protégé, quelle ironie et quelle honte.
Il y aura aussi une paire de crocs blanches disparue ainsi qu’une paire d’Umbro bleu et rose qu’elle n’aura pas mise une seule fois, parties pour une désinfection mais jamais réapparues, et que j’entends bien récupérer un jour ou l'autre ! Où sont passées les chaussures de ma maman après son décès ? On pille les patients à l'hôpital ???
La cadre de service, Madame Buisson, m’aidera à ranger les affaires de ma maman et entendra ce que j’ai à relater sur le service et me présentera ses excuses pour les négligences dont aura été victime ma maman. Mais pour moi, ce sont des maltraitances affreuses et des excuses ne suffisent pas.
Je ne compte pas en rester là, par respect pour ma maman et tous les autres patients qui devront passer par ce service.
**TABLEAU DE BORD :**
Dimanche et lundi : maman est confuse, s’excuse, me dit qu’elle m’aime et qu’on doit lui pardonner si elle a fait du mal ou de la peine à quelqu’un.
Lundi matin, je rentre dans sa chambre, elle regarde droit devant elle, paraît ne pas me voir, et mord ses lèvres comme animée d’un tic nerveux. Je finis par capter son regard, elle me dit des choses incohérentes puis regarde de nouveau au loin. C’est la dernière fois que je vois ses yeux ouverts.
Aujourd'hui, mardi, ma mère est toujours en réa mais elle n'est plus consciente depuis ce matin. On me dit que c'est à cause de la toxicité des CarTCell (ils ont bon dos), car en même temps, il y a des médicaments passés pour lutter contre des bactéries ?!
Je suis tellement en colère, mais tellement… Mon chagrin est immense et j'oscille entre être en larmes et avoir la rage.
J'ai le cœur en miettes. Si je perds ma maman, je perds mon papa qui est fusionnel et ne saura pas vivre sans elle… Il se bat contre un cancer des poumons. Je suis fille unique, je tiens tout ce petit monde à bout de bras depuis des mois. J'ai trois jeunes enfants formidables, heureusement, mais ma maman et moi sommes fusionnelles et moi qui suis d'habitude si optimiste, je ne vois pas la lumière au bout de ce chemin cette fois.
Dans mon témoignage, il y a des choses que j'ai oubliées car le parcours de maman dans ce protocole a été semé d'embûches.
**Le mercredi :**
Ma maman est intubée depuis hier. C'est très dur pour moi, car avant l'intubation et malgré qu'elle soit inconsciente, elle communiquait un peu par des haussements de sourcils ou en serrant la main.
Lorsque je suis venue lui dire qu'ils allaient l'intuber, elle a eu une réaction terrible qui m'a choquée. Elle m'a broyé la main et a eu comme une crise, elle tapait le matelas avec son autre main. J'ai réussi à dégager ma main, mais j'ai eu peur. J'ai tout de suite dit au médecin qu'elle ne voulait pas, mais ils m'ont dit qu'il n'y avait pas le choix par rapport aux sécrétions qu'il fallait aspirer.
Après l'intubation, j'ai retrouvé ma maman attachée au lit, essayant de lever ses mains, tirant au cœur, avec des larmes qui coulaient de ses yeux fermés.
J’ai l'impression de vivre un cauchemar tous les jours. C'est les montagnes russes tout le temps, un coup c'est "ses chances s'amenuisent" et aujourd'hui c'était "plein de choses positives, il faut garder espoir".
J'ai demandé leurs critères d'extubation, car là c'est insupportable pour moi. Il faut qu'elle montre des signes de conscience et qu'elle communique avec eux, qu'elle ouvre les yeux, qu'elle serre leurs mains. J'ai passé l'après-midi à lui parler, à lui dire : "S'il te plaît, ouvre tes yeux pour te débarrasser de ce respirateur." Elle s'est agitée toute l'après-midi, toujours attachée. On m'assure que quand elle se réveillera, elle ne se rappellera plus de tout ça, mais moi je leur réponds : "Pouvez-vous par contre m'assurer que là tout de suite, elle n'est pas en train de hurler à l'intérieur ?"
On me dit que la dénutrition commence à être compliquée et qu’il faudrait mettre une sonde. Il y a un tirage au sort par rapport à une étude pour savoir si on lui fait passer de la nourriture liquide en continu ou si on lui en passe plus rapidement mais en journée, et c’est cette dernière option qui sera mise en place. Mais le supporte-t-elle vraiment, vu qu’elle vomit ce qui passe par cette sonde tout en étant intubée ? Je signale que quelque chose sort de sa bouche, on me répond : "On va venir, ce sont des sécrétions."
Il faut que j’insiste lourdement : oui, c’est pénible de devoir passer en combinaison, gants, charlotte, etc. On rentrera dans la chambre en me disant que le collègue est resté toute la matinée à s’occuper de ma mère et qu’il est en pause. En fait, je fais chier le monde pour ne pas passer par quatre chemins… Tout ça pour constater que oui, elle régurgite. Et donc si je ne suis pas dans la chambre pour voir ça ? Elle s’étouffe dans son propre vomi ?
Quelle épreuve pour elle, toujours lui en demander plus. Quelle épreuve pour mon papa, et pour moi qui n'aurais jamais pensé devoir vivre ce genre de choses...
Au niveau marqueur PDS, ça s'améliore. Au niveau des myélogrammes, c'est ok. Au niveau scanner, plus de tumeurs. Mais alors qu’est-ce qui cloche ?
J'avais demandé aujourd'hui une réunion où j'ai pu rencontrer tout le monde pour poser des questions et parler de ce qui s'était passé les fameuses deux nuits. La cheffe de service trouve ça inadmissible et transmet mon numéro au cadre du service qui m'a téléphoné cet après-midi. Je demande si les bactéries contre lesquelles se bat ma mère peuvent avoir un rapport avec les deux événements où on l’a laissée dans son urine, survenus deux jours avant qu’elle ne fasse un choc septique : je m’entends répondre que non, rien à voir. (Évidemment….)
**Le dimanche :**
Voilà quelques jours que j’écris ces mots… Maman était trop fatiguée, elle se repose enfin. J’ai le cœur déchiré… Elle est partie dans mes bras, je l'ai serrée bien fort.
Merci Madame la Ministre de l'attention que vous porterez à ce courrier.
Je vous prie d'agréer mes sincères salutations
Julie Gaubert
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